Homélie de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, évêque
auxiliaire de Paris, pour la Messe de funérailles du P. Antoine Germain,
prêtre du diocèse de Paris, le lundi 11 mars 2013, en l’église
Saint-Jean-Baptiste-de-Grenelle.
Un prêtre est mort, un prêtre de 37 ans. Et nous crions vers le
Seigneur : « Pourquoi, Seigneur, pourquoi ? Ton Église a tant besoin de
prêtres, nous avons besoin de prêtres, nous avions besoin, j’avais
besoin de ce prêtre-là ! » Tous, frères et sœurs, nous avons, plus ou
moins expressément, prié ainsi, et tous en ce jour nous portons encore
cette interrogation. Tous, nous avons supplié, vous, bien sûr, ses
parents, ses oncles et tantes et ses cousins, vous, ses amis, vous
paroissiens de Saint-Jean-Baptiste, les jeunes et les moins jeunes, et
vous, à travers tout le diocèse et bien au-delà, et vous les prêtres ses
amis et ses confrères dans le sacerdoce, et notre Archevêque et ses
auxiliaires et vicaires généraux avec lui. Nous avons prié, nous avons
invoqué tous les saints du ciel, et avec ardeur sans doute le
bienheureux Jean-Paul II et quelques autres encore ; tous, nous avons
espéré, et jusqu’au dernier jour, avouons-le, un miracle. Un prêtre
jeune, donné pour perdu et ramené à la vie, en cette « Année de la
foi », c’eût été un beau cadeau !
Nous n’avons pas reçu ce cadeau-là. Et pourtant, nous pouvons nous le
dire aujourd’hui les uns aux autres, aucune de nos prières, aucune de
nos supplications, n’a été vaine. Nous avons reçu ce que nous
n’attendions pas et qu’il nous faudra désormais apprendre à voir. Cela
demandera à chacun de nous un peu de temps, à certains sans doute plus
qu’à d’autres, mais nous nous portons les uns et les autres dans la
communion de l’Église.
Car ce n’est pas la mort qui l’a emporté. La mort ne l’emporte
jamais. Qu’est-ce qu’un prêtre en effet, sinon celui qui célèbre chaque
jour le mystère du seul grain de blé tombé en terre qui meurt pour
porter beaucoup de fruits ? Qu’est-ce qu’un prêtre, sinon celui qui,
chaque jour, célèbre le grand bouleversement de Jésus et sa décision
acquise par-delà toute angoisse : « Père, glorifie ton nom ! » et la
réponse du Père : « Je l’ai glorifié et le je glorifierai encore. » Un
prêtre ne fait rien d’autre que cela : proclamer que Jésus le Crucifié
est vraiment venu pour cette heure-là et est mort pour nous et est
ressuscité pour notre vie, proclamer que le pain et le vin deviennent
son Corps et son Sang, corps livré pour nous, sang versé pour nous et
pour la multitude, proclamer que le pardon est donné aux pécheurs qui le
demandent, que tout enfant des hommes peut devenir enfant de Dieu, que
le Fils glorifie le Père en lui donnant de nombreux fils et filles en
lui et que le Père glorifie le Fils en le faisant source de vie nouvelle
pour beaucoup. Notre frère Antoine a été prêtre, il a voulu l’être de
tout son cœur, de toutes les fibres de son être, depuis le jour où il
avait compris la volonté de Dieu pour lui, comment il était appelé, lui,
à glorifier le Père. Il nous entraîne aujourd’hui, tous, avec notre
chagrin, avec nos illusions défaites, avec notre douleur et notre
espérance, à consentir avec lui à l’appel du seul Seigneur : « Si
quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où je suis, là aussi
sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. »
Nous aurions besoin du service du P. Antoine, nous aurions besoin de
son zèle, de son ardeur, de son goût de la Parole de Dieu et de la
célébration des mystères de la foi. Nous en aurions besoin, nous, les
évêques, pour le bien du diocèse de Paris ; vous en auriez besoin, vous,
frères et sœurs, pour le bon déploiement de la vie de cette paroisse,
vous, les jeunes professionnels, les étudiants, les scouts, les jeunes
de l’aumônerie et de Saint-Joseph, pour l’enseignement et les
encouragements et les conseils et l’exemple qu’il pouvait vous donner,
et tant d’autres encore en auraient besoin qu’il a aidés, déjà, plus
personnellement, dans les quelques années de son ministère, ces derniers
jours ont permis de le constater. Mais tous nous avons besoin, et
l’Eglise entière, et l’humanité, que lui, avec beaucoup d’autres, suive
le Christ jusqu’au bout. Vous l’avez accompagné pendant ces presque 4
semaines, depuis ce fatal 11 février, jour béni cependant par la douce
Vierge Marie, notre Mère, l’Immaculée, vous l’avez accompagné, par vos
visites, par vos prières, par votre disponibilité multipliée à lui
rendre ce qu’il avait pu vous apporter et au-delà encore. Il en a eu
besoin, de cet accompagnement. Ne doutons pas qu’il a été aidé, qu’il en
est aidé, pour cette ultime étape où finalement il nous précède,
lorsqu’il faut tout remettre au seul Jésus pour que notre vie serve
pleinement à la gloire du Père, c’est-à-dire aussi à la vie de tous.
C’est un prêtre qui est mort, et il est mort en prêtre. Ces quatre
semaines ont permis qu’il meure en pasteur, vous tirant, nous tirant
vers le mystère de Pâques que nous allons célébrer avec l’Église
entière, non plus comme un rite seulement mais comme le drame réel qui
fait déboucher la vie des hommes. Paroissiens de
Saint-Jean-Baptiste-de-Grenelle, parmi vous sans doute certains ont été
séduits très vite par son énergie, son humour, sa capacité d’amitié ;
d’autres ont été surpris et agacés par le style qu’il avait choisi, par
sa manière à lui d’être prêtre jusqu’au bout qui a pu le conduire
parfois à imposer ce qui peut passer pour des lubies, comme le désir
qu’il a exprimé que les célébrants de la messe de ses funérailles
portent des ornements noirs. Peut-être nous faut-il comprendre
qu’Antoine appartient à une génération où quelques-uns sont soucieux,
inquiets même, de ne rien laisser perdre du patrimoine de l’Église, pas
une miette de ce qui s’est accumulé au long des siècles. Le Père
Antoine, l’abbé Antoine, a eu à apprendre sans doute, et il continuait à
l’apprendre, que l’unique grain qui donne sa vie le fait pour
rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés, pour que les
grains dispersés sur les collines deviennent l’unique Corps uni dans la
charité de Dieu.
Une des grandeurs d’Antoine, ce qui, dès le début, a été consolant
chez lui pour son évêque, a été sa capacité d’estimer les prêtres avec
lesquels il avait à travailler. Par-delà les différences de style et de
pensée, il a su reconnaître la vérité sacerdotale et chrétienne aussi
bien du P. Olivier Ribadeau Dumas, son premier curé, que du Père Claude
Navarre, décédé l’an passé. Je voudrais, frères et sœurs, remercier
aujourd’hui le P. Ribadeau Dumas qui a su accueillir ce jeune prêtre qui
lui était confié avec confiance, avec patience, avec exigence aussi
mais dans la douceur, dans un véritable amour de charité, qui a su ne
pas douter qu’Antoine, même à travers ses raideurs, cherchait à être
prêtre de Jésus-Christ et qu’il valait la peine de l’aider à mûrir. Il y
a un an et demi Antoine avait reçu avec surprise et joie le P. Hervé
Géniteau comme curé : il l’avait connu, étant encore jeune
professionnel, il lui devait beaucoup pour ses progrès dans la vie
chrétienne et pour sa réponse à l’appel du sacerdoce ministériel. Il en a
reçu encore pendant ses dernières semaines plus qu’il n’aurait pu
imaginer. Ce ne sont pas les prêtres seulement qui se font les uns les
autres : l’Église entière enfante les prêtres. Antoine, frères et sœurs,
a su reconnaître l’œuvre de la grâce de Dieu en vous, même en ceux qui
ne le comprenaient pas bien ; il a su s’émerveiller de l’ouverture du
cœur de beaucoup d’entre vous, de la fécondité du don de Dieu entre vos
mains. Il en a été formé. Il a vu de ses yeux parmi vous ce que veut
dire « se détacher de sa vie en ce monde et la garder pour la vie
éternelle ». A votre école, il a tâché d’y correspondre.
Un homme est mort. Un homme de 37 ans. Quelques-uns parmi vous savent
déjà qu’Antoine s’était levé, une nuit, celle du 17 au 18 décembre très
précisément, pour rédiger un testament et fixer quelques choix pour la
messe de ses funérailles. Dans la paix de cette nuit, il avait choisi de
nous faire chanter en ce jour le psaume 115. Nul ne sait, sauf,
peut-être, je ne sais, tel ami proche, quel verset l’attachait à ce
psaume-là. C’est sa prière cependant qu’il nous partage ainsi, la prière
secrète qui montait de son âme devenue inaccessible pour nous pendant
ces dernières semaines mais qui emplissait et emplit aujourd’hui et à
jamais le sanctuaire du ciel.
« Je crois et je parlerai, moi qui ai beaucoup souffert, moi qui ai dit
dans mon trouble : ‘’L’homme n’est que mensonge’’ ». « L’homme n’est que
mensonge » : avec quelle expérience intime de notre frère Antoine ce
cri consonne-t-il ? Antoine ne semblait pas neurasthénique ni cynique.
« Omnis homo mendax », dit la Vulgate : tout homme est menteur.
Antoine a écrit de lui-même qu’il n’était pas un mystique. Soit. Il a
perçu tout de même cette grande vérité, qu’un homme ne tient jamais
complètement la promesse qu’il est. Il l’a perçue pour les autres
peut-être, mais le choix de ce psaume nous invite à penser qu’il l’a
perçue pour lui d’abord. Non pas du tout qu’il ait été un grand pécheur,
un grand dissimulateur. Il avait plutôt le sens de la sainteté de Dieu,
de la sainteté que Dieu nous donne, et il a mesuré en lui ce mystère
d’iniquité qui a rendu nécessaire, qui rend nécessaire rien de moins que
l’incarnation du Fils bien-aimé et sa passion pour que nous soyons
libérés et vivants. Entendons surtout, frères et sœurs, le contraste :
« Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? » et
encore : « J’élèverai la coupe du salut, j’invoquerai le nom du
Seigneur. » On peut entendre ces versets du prêtre qui célèbre le
sacrifice d’action de grâce, celui de l’Église qui est celui du Christ à
elle remis, mais on peut l’entendre non moins de tout homme, vraiment
homme, qui ose regarder cette réalité mystérieuse du péché en lui et qui
découvre avec émerveillement le bien que Dieu lui donne de faire.
Écoutons plus loin encore ce que notre frère nous confie, ce qu’avec
le psalmiste il ose dire pour nous : « Il en coûte au Seigneur de voir
mourir les siens ! » La mort n’est jamais l’alliée de Dieu. La mort d’un
homme n’est jamais en elle-même l’instrument du Créateur, elle est un
ennemi que Dieu par le Christ a dompté, elle est une ultime négation de
la bonté du Père que Jésus a traversée pour nous arracher à elle. Le
Christ est pour nous dans la mort comme le poisson qui avala Jonas et
lui épargna d’être noyé avant de le déposer sur un rivage. Il nous
recueille et il nous conduit à la liberté. Notre frère Antoine est
conduit à la patrie, et il sait de quel prix Dieu a payé et paie tout ce
qui nous rattache à la mort : « Il en coûte au Seigneur de voir mourir
les siens ! Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur, ton serviteur, le
fils de ta servante, moi, dont tu brisas les chaînes ? ».
Madame, vous le savez bien, il n’y avait en votre fils aucun goût
pour la mort. Il voulait vivre et il voulait, il veut vivre toujours. Il
avait reçu de vous, de vous et de son père, votre époux, le don de la
vie, il savait que vous le lui aviez donné avec joie, il savait que vous
ne lui aviez pas donné une vie faite pour la mort mais une vie
vivifiante et que vous étiez prête à beaucoup donner, beaucoup vraiment,
pour qu’il vive. L’humour et un certain non-conformisme qui faisaient
son charme venaient assurément de ce qu’il avait pu reconnaître que la
vie lui avait été donnée selon une mesure pleine et débordante. Il
savait aussi, il le confesse et il nous fait le confesser avec lui par
le choix de ce psaume, que votre joie de lui avoir donné la vie à lui
était le signe de la joie de Dieu à cause de lui. En choisissant de
devenir prêtre, de répondre à l’appel de Dieu, il vous avait déjà
entraîné avec lui dans son offrande, et il savait que vous y entreriez
en vérité pour lui, pour sa joie à lui. Par sa mort inattendue, vous
voilà conduite encore plus loin, et votre époux avec lui, et vous,
Monsieur, avec votre femme, là où jamais vous n’auriez pensé à aller.
Vous savez que le cri du psalmiste : « Ne suis-je pas, Seigneur, ton
serviteur, ton serviteur, le fils de ta servante ? » fut celui du
Seigneur Jésus lui-même entrant dans la mort en entraînant avec lui sa
mère, la servante du Seigneur. Vous savez que, pas plus qu’elle, vous ne
pourrez saisir le Ressuscité sur cette terre, et vous entendez jusqu’au
bout ce que dit le psalmiste : « Moi, dont tu brisas les chaînes ? Je
t’offrirai le sacrifice d’action de grâce, j’invoquerai le nom du
Seigneur. »
J’avais rencontré votre fils le 11 janvier dernier, vous le savez. Il
m’avait raconté avec une joie belle le voyage que vous veniez de faire
avec lui tous les trois, dans les pays nordiques, pour votre
anniversaire de mariage. Vous avez dit à plusieurs reprises, Madame,
Monsieur, ces derniers jours, que vous aviez vécu avec votre fils chaque
moment dans sa plénitude : « Nous goûtions le bonheur et nous le
savions », disiez-vous. Voilà, frères et sœurs, une belle manière de
dire la grâce de la vie chrétienne, de la vie dans le Christ, avec ce
qu’elle demande de choix, de déterminations, de renoncements, et surtout
de décentrement de soi, voilà une belle manière de dire ce qui rend
belle et bonne la vie d’un homme : vivre chaque moment selon la
plénitude qu’il porte. « ‘’L’homme n’est que mensonge’’. Comment
rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? » Chers amis,
jeunes et moins jeunes, à quelque âge de la vie que vous soyez, que
cette mort venue trop tôt à nos yeux vous encourage à jamais, qu’elle
nous encourage à jamais, à vivre pleinement, à répondre à la grâce de
chaque instant, à accueillir le don de Dieu, malgré nos faiblesses, à
travers nos faiblesses, et à élever la « coupe du salut » en chacun de
nos actes, à être des hommes et des femmes, des créatures pleines de
gratitude pour le Père qui nous a appelés à l’être.
Un chrétien est mort et il est mort en chrétien, en disciple du
Christ. Il s’était préparé, certainement sans prévoir quelque moment que
ce soit ; il s’était confessé ce matin-là, selon son rythme sans doute.
Autrefois, au XIXème siècle, lorsque mourait un enfant, un des lieux
communs de la prédication était : Dieu lui a épargné bien des dangers de
cette vie terrestre. Et pourquoi pas en effet ? Notre ami Antoine aura
eu la grâce de vivre intensément. Il n’aura pas eu à connaître les
lassitudes, les désillusions, à affronter les amertumes qui viennent
parfois troubler la joie de vivre sous le regard de Dieu, à cause des
médiocrités des hommes toujours sensibles, même dans l’Église bien sûr, à
cause aussi de l’expérience où nous courons le risque de nous laisser
enfermer des duretés, des scléroses de notre cœur, de ces ténèbres
auxquelles il nous semble que nous ne pourrons pas échapper
complètement. Mais ne nous complaisons pas à envier son sort. Écoutons
avec lui la forte leçon de l’Apôtre : « Si, par le baptême (c’est-à-dire
la plongée) dans la mort du Christ, nous avons été mis au tombeau avec
lui, le Christ, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous
aussi, de même que le Christ, par la toute-puissance du Père, est
ressuscité d’entre les morts ». « Pour que nous menions une vie
nouvelle », le texte grec dit même : pour que nous marchions dans une
nouveauté de vie. Voilà ce qu’est être chrétien, et en quoi être
chrétien accomplit notre humanité : être chrétien, c’est marcher. Non
pas comme des esclaves ou des condamnés, non pas comme des ouvriers
accablés par un labeur trop rude, mais marcher dans une « nouveauté de
vie » qui nous est acquise par la victoire du Christ, marcher comme des
soldats qui affrontent parfois de rudes combats, comme des pèlerins
surtout qui doivent traverser des zones parfois hostiles ou désertiques,
supporter la pluie et le froid ou la chaleur trop forte, qui
rencontrent parfois des dangers, qui reçoivent aussi des secours
inattendus, qui bénéficient de l’hospitalité et de la générosité
d’hommes et de femmes de toutes sortes, parfois les moins attendus, qui
connaissent en marchant des joies bouleversantes. Marcher les yeux fixés
sur le but, puisque nous avons la grâce de le connaître. Parce que nous
avons été libérés par la mort du Christ de l’esclavage du péché et que
nous pouvons avancer, même laborieusement, vers l’homme ressuscité,
portés que nous sommes, nourris que nous sommes, encouragés que nous
sommes, par le Christ lui-même, et sa Parole et son Corps et par tous
les saints.
Vous, jeunes gens qu’Antoine a eu à servir, vous savez comme il était
soucieux que l’Église soit visible en ce monde. Osez vivre du Christ au
milieu des autres. Vous porterez au bénéfice de tous ceux que la
Providence mettra sur votre route la promesse formidable de Dieu que la
mort et surtout, plus important encore, le péché, ne peuvent nous priver
d’avancer vers la vie en plénitude, si seulement nous nous confions au
Seigneur Jésus. Vous aurez à faire des choix qui vous distinguerons des
autres. Mais vous les ferez non pas à la force de vos poignets mais
grâce à la liberté intérieure que le Christ par son Esprit met en nous.
Dans des générations qui s’agitent et qui s’excitent en tous sens, ne
sachant où aller, vous brillerez comme des astres. Gardez-vous de
l’orgueil. Vous vous étiez habitués à l’aide du Père Antoine, de l’abbé
Germain, vous avez ressenti son accident, ses semaines de coma, sa mort
pour finir, comme un arrachement. Vous en restez blessés et vous le
resterez. Ne laissez pas cette blessure se décomposer en amertume, en
ressentiment ou en cynisme. Qu’elle soit en vous désormais, avec
quelques autres que les années vous feront porter, comme les plaies du
Christ, glorifiées en sa résurrection. Que le souvenir du ministère du
Père Antoine, de l’abbé Germain, et son intercession vous stimulent à
vous engager pour de vrai dans l’existence tout en vous gardant
précieusement au cœur la mémoire que ce qui nous rend vivants, à travers
l’œuvre de nos mains, est ce qui vient du Plus grand que nous et que
nous avons à lui retourner en action de grâce chaque jour, - et
nous-mêmes un jour, pour finir et pour commencer enfin.
Vous, paroissiens ou personnes de tous âges qui êtes ici parce
qu’Antoine vous a accompagnés sur une partie de votre route ou parce que
vous l’avez accompagné un moment de la sienne, osez marcher avec plus
de détermination, osez accélérer votre pas, vous débarrasser de ce qui
vous encombre encore, de ce qui ralentit votre pas. Que cette vie
intense encourage ceux qui se seraient assis, épuisés, sur le bord du
chemin, à se saisir de nouveau de la croix, le vrai bâton de notre
route.
Et vous, jeunes prêtres amis d’Antoine, vous que sa mort secoue au
profond de votre âme alors que vous avez à être chaque jour, en tant
d’actes, les garants du Ressuscité, n’oubliez jamais que vous l’êtes
dans l’unité de l’Église, assurée par la communion hiérarchique des
Apôtres et de leurs successeurs dont Pierre est la tête. Ce n’est jamais
à notre mesure à chacun que nous sommes garants du Ressuscité et de sa
puissance salvifique et bienfaisante, mais à la mesure de l’Église
entière et selon ce qu’elle nous donne ou nous demande. Sachez vous
reposer sur la foi de l’Église, sachez refaire vos forces en estimant
« ceux qui vous ont précédés ». Vous avez eu la grâce de connaître
l’amitié. C’est un grand don de Dieu. Cette amitié entre prêtres a été
remarquée, elle a réjoui bien des cœurs. Qu’elle vous conduise toujours,
au-delà d’elle-même, à la pleine fraternité sacerdotale et jusqu’à la
pleine fraternité chrétienne. A jamais la mémoire d’Antoine Germain vous
invitera à être prêtres jusqu’au bout, jusque par la dernière fibre de
votre être, ce qui veut dire aussi avec vos faiblesses et le sens de
votre péché et l’immense émerveillement de pouvoir donner ce qui ne vous
appartient pas, ce que vous ne mesurez pas, ce dont seule l’Église dans
la gloire connaîtra toute l’ampleur et dont tant de croyants humbles
mais réels, imparfaits mais abandonnés, nous donnent de percevoir la
vérité.
Cher Monsieur, chère Madame, en ces semaines dernières, beaucoup ont
appris à vous connaître. Vous nous avez édifiés, et tant de membres de
vos familles qui ont su être présents pendant les nuits et les jours.
Nous ne canonisons pas votre fils. Nous le remettons, pleins de
confiance, au jugement de Dieu. Il vous a été donné, comme un don
précieux fait à votre amour mutuel. Il vous tire hors de vous-mêmes,
plus que jamais non vers l’avant mais vers le haut, la douleur creusant
en vous des profondeurs nouvelles, engendré par vous et vous engendrant
en retour. Vous voilà remis l’un à l’autre, l’époux et l’épouse, « une
seule chair » scellée par l’amour et le chagrin et l’espérance gagnée
contre toute espérance, et pour quelle fécondité nouvelle ? Vous serez
désormais au milieu de notre humanité désemparée des témoins de la foi
qui sauve. Entraînés par vous et communiant avec vous, nous tous,
rassemblés ici, les forts et les faibles mêlés, nous aidant
mutuellement, nous redisons d’un seul cœur à la suite de l’Apôtre :
« Nous le savons en effet : ressuscité d’entre les morts, le Christ ne
meurt plus ; sur lui, la mort n’a plus aucun pouvoir ».
Amen.
Mgr Éric de Moulins-Beaufort,
évêque auxiliaire de Paris